La cella moderne

Chirurgie en bloc opératoire

"L A  C E L L A"

ou la main invisble

2008/2018

Tout homme se sert de ses mains.                                                                                           

Au fil du temps, le travail de cet organe, si singulier, l’a d’abord dégagé du monde animal, puis libéré d’une

antique servitude face à la nature. C’est l’“oeuvre de main” qui a agrippé notre humanité. Elle porte un nom :

la chirurgie*. Depuis le XIIe siècle, ce terme désigne spécifiquement le travail d'une main qui s'applique à guérir.

La noblesse du but, la magie du geste. Voilà ce qui domine.

A l’époque où la main de l’homme édifie des cathédrales, surgit Le Caravage. Une véhémence de clairs

et d’obscurs. Le goût de la précision du trait, la concision de la scène.

Le tableau, comme la salle d’opération renferme cette même image saisie au vol. Il s’agit d’une scène dont

la violence résonne jusque dans l’atmosphère du lieu qu’elle glace par sa seule force.

 

 

“ L A  C E L L A ”

 

Ce lieu est le sanctuaire de l’invisible, “La Cella”. L’événement qui se produit est aussi l’avènement

d’un moment de prestidigitation. Suspendue dans le noir, la main du chirurgien – aussi habile que celle

du peintre - opère une chair rouge sang, dont on ne sait si elle est en voie cadavérique ou dans l’ascension

rédemptrice d’un fabuleux tour de passe-passe.

“Nous sommes faits de la même étoffe que les rêves.

La vie n’est qu’une ombre qui passe.

C’est un récit plein de fureur et de bruit.

Viens chère nuit au front noir.”

Le patient est à la merci de son chirurgien.

La confiance du premier naît de la promesse de l’art du second : ne pas prolonger l’attente

d’une souffrance qui a faim, mais la diviser, selon les règles de l’art, à coup de scalpel.

Voici donc la scène de ce tableau secret où va se dérouler une étrange chorégraphie lente et millimétrée,

sous le feu des scialytiques. La lumière vient du haut descendant verticalement sur le patient.

Que va-t-il donc se passer en réalité à partir de ce moment ? Cette question est mon point de départ.

Un travail qui va se dérouler sur une période de 8 ans…

* Du grec ancien kheiros (mains) et ergon (action, oeuvre, travail), Keirourgia est transmis au latin sous la forme Chirurgia, puis Chirurgie en français.

 

 

 
La salle des machines

 

On n’est pas d’emblée dans le silence d’une église. Mais chacun commence à se préparer et à s’affairer

dans son coin. On expurge le quotidien. Car on ne peut plus être ici comme ailleurs.

Un accident obéit toujours à une remarquable cohérence avec laquelle il va bien falloir se mesurer. Voilà

le sujet intime de cette dramaturgie à huis clos : un ballet très bien réglé sous la direction du chirurgien

pour synchroniser les actions méthodiques d’une dizaine de personnes présentes. Chacune adopte son

personnage - son masque − et le fait sien, grandit sa voix et ses gestes.

Horreur ou beauté, vie et mort tout peut maintenant arriver. Il va falloir trancher.

Le patient a été lui aussi préparé. Il a disparu, recouvert par le drapé des champs. On va rester en relation

avec lui par l’intermédiaire de machines et de tout ce qui est enregistré sur les scopes, c’est-à-dire

la pression artérielle, la pression veineuse, la température, l‘oxygénation, etc.

Les fameux appareils “bip bip”, remplis de lucioles agitant en tous sens pics et courbes, presque liquides.

Un rayon de lumière pareil à une coulée de résine remplit l’espace sonore et déclenche parfois

des alarmes stridentes.

 

 

Le photographe et le chirurgien :

V O I R L ’ I N V I S I B L E

 

Le chirurgien est le seul artisan qui ne peut pas toucher à ses outils. Beaucoup de temps s’écoule avant

de pouvoir faire quelque chose seul, et ça arrive sur le tard. Il navigue aux instruments, pas à vue.

Un temps suspendu pour lui et son équipe qui ne sentent pas la faim, ni la fatigue. Patience, concentration,

il ne faut pas que la mort s’invite à la table d’opération. On a le droit à une erreur, rarement deux, jamais

trois. Il faut dominer l’émotion d’un geste beau et sûr.

L’instant n’est pas toujours reconnaissable. Il y a toute la douleur qu’il y avait avant ; et maintenant tout

l’espoir qu’il y aura après. On ne peut pas comprendre ce qui va se passer au moment crucial de cette

suture. Mais on peut quand même essayer de le montrer.

Et, qui sait, on aura, peut-être, vu une Vierge pantelante et abandonnée revenir comme Lazare de l’ombre

à la lumière exactement comme dans un tableau du Caravage.

L’Homme se sert de ses mains pour vivre ses rêves. Celles qui sont remplies de notre humanité sont

invisibles pour accomplir le miracle de sauver cette étoffe dont nous sommes faits, les rêves.

 

 

 

 

La Cella Moderne, 2008-2018


La Cella Moderne, nous emmène comme son nom l’indique au cœur même du temple de ce qui pourrait être le symbole de notre rapport au corps aujourd'hui, rapport dévié car en mutation. Lieu hybride empli de mystère, inaccessible, au secret, et porteur en retour de "normalité" - celle de l’éradication de la maladie, de la blessure, voire du vieillissement. Partant de ce constat, j'ai développé cette deuxième série qui m’éloignait du portrait, ligne maîtresse de mes pérégrinations photographiques, en établissant là une mise en vue de ce qui ne se dévoile jamais.

Une sélection de mes prises de vue s’est ensuite imposée pour ne laisser visible que ce qui fait la quintessence de ce travail. Ces photographies font écho à la peinture, à certaines représentations du XVIIe siècle, en particulier celles relevant du clair-obscur. Les compositions, extrêmement épurées laissent deviner l’essentiel : là où se situe l’action, les lignes de force, les mains comme arrêtées dans leur mouvement, les couleurs claquantes puis tout autour l’halo protecteur qui s’estompe, avant d’être emporté par un noir profond.

Il ne s'agissait pas de réaliser un reportage en milieu hospitalier, mais bien d'établir une série d'images dont le choix esthétique, par son dépouillement, son principe du focus parfois cru nous fait basculer directement dans un autre espace, celui de notre corps à une époque où la dématérialisation et les nouvelles technologies peuvent nous faire oublier le sensible. 

 

 

Nathalie Béreau

Galeriste

 

 

 

« Méduse avait le pouvoir de pétrifier tout mortel qui osait poser son regard sur elle. Lorsque nous

franchissons le seuil obscur du temple édifié par le regard intrépide de Philippe du Crest, c’est à elle que

l’on songe. Tapis dans l’ombre du champ opératoire, nous sommes saisis de vertige à la lecture de ces

images d’apparence aussi précieuses que des publicités pour joailler. A nos corps défendant nous voilà

témoins de la profanation qu’opère le chirurgien-démiurge aux tréfonds de nos chairs, tel Sisyphe

plongeant inlassablement ses mains dans le cambouis sacré de la vie. Phalènes irrémédiablement attirées

par la lumière, nous restons hypnotisés par l’exigeante confrontation que nous impose la beauté de ces

images. »

 

Alain Willaume, janvier 2016

 

 

This is a powerful image. From a distance it almost resembles a rose, but closer inspection reveals something entirely different – a naked heart, a view inside the temple. It presents the body as something scientific – the humanity removed from the equation. It’s a clean, minimal composition – both this and the darkness are unexpected for an environment we think of as sterile white, bustling with machinery and activity

 

Life Framer

 
001 003 32 13 45 52 #19 64 60 67 54 68 65 70 - 59 Prix des tirages
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Dominiquele 11 février 2013

Bravo, encore une très belle idée. Le dispositif chirurgical amène une lumière dont vous avez magnifiquement tiré parti. Et quelle ambiance! Quelque chose entre le sacré et la boucherie. Avec une mention spéciale à la photo du "christ en croix", un simple changement d'orientation, de l'horizontale à la verticale change effectivement la lecture.

jean francoisle 28 mai 2014

De l'art dans la douleur, vous donnez une dimension dans la chirurgie avec une ambiance qui dépasse l'imagination avec ces couleurs et ce contraste du noir qui met la photo a sa juste valeur ,beaucoup de délicatesse ,en espérant un jour de pouvoir faire au moins 1/10 de cet art que vous maitrisé Merci

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